Clément Urrutibéhéty: la chapelle

La chapelle Saint-Sauveur d’Iraty
et l’hôpital Saint-Sauveur de Laurhibar

Clément Urrutibéhéty
Extrait de Jakintza n° 32, août 2005, Mendive. Pages 17 à 21.

En passant par Saint-Sauveur
Le chemin d’Iraty qui prolonge la vallée de Lantabat et donne accès à la chapelle Saint-Sauveur et à la forêt d’Iraty, était aussi en relation avec un itinéraire jacquaire secondaire de montagne, et un hôpital de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem intimement lié à la chapelle Saint-Sauveur d’Iraty.
Nous tenons du regretté chanoine Berçaits curé-doyen de Saint-Palais, natif de Mendive, l’appellation basque du chemin recueillie dans son enfance de la bouche de son grand-père, Jondonaakiko bidia, le chemin de Saint-Jacques emprunté par les pèlerins, Jondonaakitarrak, en vue du pèlerinage, Jondonaakiko beila. Exemple rare de transmission orale familiale, authentique du XIXe siècle, à l’état pur, indépendant du renouveau du pèlerinage, étayé et relayé par des références qui ne sont guère plus connues.
Une première vague, la plus ancienne semble-t-il, dédié au Sauveur, a traversé les ports de Cize, de Saint-Sauveur de Biscay et du mont Saint-Sauveur de Saint-Palais à Saint-Sauveur de Saint-Just, Saint-Sauveur d’Ibañeta et Saint-Sauveur d’Obanos. Une seconde vague a suivi sous le patronage de Marie-Madeleine, à Osserain, Saint-Palais, Utziat, en remplacement de Marie, à la Madeleine ou Recluse de Beitbeder de Saint-Jean-le-Vieux, et Sainte-Madelaine dans la montagne d’Orizun.
Une parenté commune les rapproche, et pour revenir à la première vague de christianisation et à des éléments datables du XIIe siècle : Saint-Sauveur de Biscay sur l’itinéraire de Tours à Saint-Jacques, recensé sous le nom de Sanctus Salvator de Maugorre (maison Malgor) dans le cartulaire ou Livre rouge du diocèse de Dax, vers 1180. La plaque tournante des chemins de Saint-Jacques autour de la colline Saint-Sauveur de Saint-Palais. Une terre de Saint-Sauveur limitrophe de Saint-Just, donnée au XIIe siècle à l’abbaye de Sorde contre la vêture et le couvert d’un couple donateur d’Ordiarp, et l’église Saint-Sauveur correspondante à la même époque dans le livre rouge du diocèse de Dax, Sanctus Salvator de Iriundo, Saint-Sauveur, proche du bourg de Saint-Just et non localisée. L’hôpital et (ou) la chapelle Saint-Sauveur dans la montagne d’Iraty. L’hôpital et (ou) la chapelle Saint-Sauveur du col d’Ibañeta, au Sumi-port de Cize, en lieu et place d’un autel romain et d’un culte solaire, et au-delà, la jonction à même la chapelle Saint-Sauveur d’Obanos des itinéraires de Roncevaux et du Somport, aux abords immédiats de Puente-la-Reina.

Le juspatronat de Saint-Vincent de Mendive et de Saint-Sauveur de Laurhibar
Un document du XIIe siècle nous éclaire sur l’existence d’un hôpital Saint-Sauveur de Laurhibar sur les hauteurs d’Iraty, dépendant du grand prieuré de Navarre de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, rattaché lui-même à l’Aragon, dans les décennies du XIIe siècle durant lesquelles fusionnèrent les couronnes de Navarre et d’Aragon. La présentation à l’hôpital Saint-Sauveur de Laurhibar c’est-à-dire le juspatronat concernant la chapelle, l’un signifiant l’autre, appartenait sans partage au prieur de Navarre, Jordan de Cauderac, qui déléguait son procureur, le commandeur d’Irissarry et d’Aphat-Ospital, Raymond Guillem de Mauléon. L’homologation et l’investiture revenaient à l’évêque de Bayonne, Dominique de Mans.
Par acte donné à Ossés le 5 mai 1298, l’évêque accordait au prêtre Arnaud de Behorleguy sa vie durant, l’église Saint-Vincent de Mendive, avec tous ses droits et appartenances. L’église Saint-Vincent et l’hôpital Saint-Sauveur avaient partie liée à l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. Nous traduisons du latin: «Nous, Dominique, par la miséricorde divine évêque de Bayonne, sur la présentation de frère Raymond Guillem de Mauléon, commandeur d’Irissarry et d’Aphat, procureur du vénérable homme Jordan de Cauderac, prieur de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem au prieuré de Navarre, à qui la présentation de l’hôpital de Saint-Sauveur de Laurhibar appartient sans partage, nous donnons et concédons à frère Arnaud de Behorleguy, prêtre, l’église Saint-Vincent de Mendive, avec tous ses droits et appartenances, sa vie durant»(1). On voit sourdre à travers la personne du procureur, commandeur des deux commanderies, l’appartenance de l’église de Mendive et de l’hôpital ou chapelle Saint-Sauveur à la commanderie d’Aphat-Ospital.
Il est fait mention en 1350 de l’hôpital de Laurhibar dans la paroisse de Mendive, lospitau de Laurhibarre, tandis qu’un rôle de 1366 cite l’hôpital d’Aphat et de Laurhibar, l’ospitau d’Apate et de Laurhibarre, sans distinction de la commanderie et de son hôpital de Laurhibar.

Pèlerinage à Notre Dame de Musquilda
Une autre appellation du XVe siècle en dit plus long sur le chemin et la chapelle d’iraty, et ses connexions aux cols, Sant Salbador deus Pors, Saint-Sauveur des Ports, qui conduisait à Ochagavia et à Orbaiceta en Navarre, au débouché de la forêt d’Iraty. Les Basques se rendaient en pèlerinage dans deux lieux de culte marial pyrénéen, à Notre-Dame de Roncevaux et à Notre-Dame de Musquilda (Musculdy dans le document) qui domine le monticule et le site d’Ochagavia.
L’assemblée des Etats Généraux de Basse-Navarre se plaignait en 1666 du comportement des gares frontaliers de Haute-Navarre à l’égard des transporteurs de marchandises et autres passants et pèlerins. Deux voituriers de Baigorry et d’Ossès étaient emprisonnés en Haute-Navarre, leurs bêtes saisies, neuf chevaux et mules, et neuf charges et demi de vin. Les députés des Etats demandaient la franchise des marchandises destinées au pays et le libre passage des marcheurs, cavaliers et pèlerins. Les exactions aux ports étaient mal vécues et n’épargnaient pas les Bas-Navarrais dans leur dévotion à Notre-Dame de Roncevaux et à Notre-Dame de Musquilda. Ils connaissaient les mêmes désagréments et tracasseries que les pèlerins de Saint-Jacques au XIIe siècle, les gardes usant à leur endroit des mêmes procédés que les péagers du roi de Navarre, fouillant hommes et femmes, et allant jusqu’à confisquer leurs vêtements. Ils imposaient 14 sous par tête des passants à pied, une piastre des gens à cheval et autant des pèlerins de Roncevaux et de Musquilda: «Ils exigent ce même droit de 14 sous par tête aux personnes qui, poussées d’une humble dévotion, vont à une espèce de pèlerinage à Notre-Dame de Roncevaux, et à la chapelle de Musculdy proche d’Oxabie (sic). Les gardes sont assez cruels pour dépouiller les hommes et les femmes de leurs habits, quand on ne se trouve pas en état de fournir ce qu’ils demandent. Les personnes dévotes ont souffert ces outrages sans se plaindre par un principe de piété, mais tel excès qu’on ne peut plus s’empêcher de s’en plaindre sans offenser toutes les règles de la pudeur et de la réflexion». Le vice-roi de Pampelune était prié de faire cesser ces vexations et impiétés, «et laisser librement aller dans les dévotions de Roncevaux et de Musculdy sans rien exiger» (2).

La maison Laurhibarrea
Le chemin du port d’Iraty commençait au pied de la montagne, à la maison Laurhibarrea appartenant à l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem puis de Malte, affublée par moment du nom de commanderie, parce que dépendante de la commanderie d’Aphat-Ospital. D‘après une enquête de l’Ordre en 1708, Mendive comptait deux maisons il y a 800 ou 900 ans, Laurhibarrea travestie en Lohibarria, et Mikelaberroa. Après la traversée du pont de Laurhibar, qui se faisait à gué au XVIIe siècle, le chemin gagnait la maison Benta disparue, abandonnant des pavés aux lacets du sous-bois, et atteignait la crête d’Iraty, la route actuelle, et une première croix frappée du lauburu au col de Haritzkurutxeta.
Louis de Froidour, grand réformateur des forêts du royaume de Navarre, quittait Saint-JeanPied-de-Port le 10 novembre 1672 pour visiter les sapins d’Iraty, en compagnie du syndic général des Etats de Basse-Navarre, et d’un guide de Mendive qui le conduisit à la maison Laurhibarrena, appelée métairie ou métairie de Malte ou de Saint-Jean-de-Jérusalem: «Il nous aurait mené suivant le cours de ladite rivière jusques à la dernière métairie qui est sous la montagne, et qui est dépendante d’une commanderie de Malte, où ayant passé ladite rivière à gué, nous aurions commencé à monter la montagne, le long de laquelle presque depuis le bas jusques en haut, nous nous aurions trouvé un espèce de lieu ou chemin assez étroit en forme de trace ou fossé, par lequel ledit paysan nous aurait dit qu’il avait autrefois vu que l’on faisoit descendre les mâts que l’on tiroit de ladite montagne d’Iraty, mais nous aurions trouvé ledit chemin si âpre que nous aurions été obligés de quitter nos chevaux et de grimper le mieux qu’il nous auroit été possible, jusques à ce que nous aurions gagné le sommet de la montagne, où étant arrivés nous aurions suivi la creste pendant un quart de lieue, tirant toujours vers le port, et ayant à droite et à gauche de grands précipices». Surpris par la pluie et le brouillard et contraint de descendre, Louis de Froidour trouvant abri dans la métairie, «suffisamment de temps pour nous essuyer et pour faire sécher nos habits et nos linges», avant de regagner Saint-Jean-Pied-de-Port.
Sa visite avortée, Louis de Froidour s’en remettait à un mémoire du prieur de Bayonne et des commissaires de la Marine qui l’avaient précédé à Iraty. Il était question des dépenses nécessaires pour nettoyer la rivière et la rendre utilisable «jusques à la commanderie de Lecumberry », et établir un chemin depuis cette commanderie jusqu’à la forêt d’Iraty, «le tout, pour par terre et eau, transporter à Bayonne». A défaut de commanderie à Lecumberry, le projet tournait en réalité autour de la maison Laurhibarrea de Mendive, à la jonction de la rivière et du chemin d’Iraty. Les dépenses étaient évaluées à 36.390 livres.

Pèlerinage à la chapelle Saint-Sauveur d’Iraty
Des fidèles reprennent de nos jours l’ascension de la chapelle Saint-Sauveur d’Iraty lors de la Fête-Dieu, perpétuant une tradition qui regroupait une communauté de dix villages représentant la vallée de Laurhibar pour l’essentiel. Le détail en est donné dans un inventaire en 1708 de tous les biens de l’Ordre de Malte en Basse-Navarre, dans les commanderies d’Irissarry et d’Aphat-Ospital.
L’offrande du jour en la fête de la Trinité consistait en dix grands et beaux pains fournis par les habitants de dix paroisses et quartiers, l’entité de la vallée de Laurhibar, Behorleguy, Mendive, Latarce (quartier de Janits au nord de Lecumberry), Janits (Lecumberry), Ahaxe-Chilo, Garatheguy, Bussunarits et Sarrasquete, auxquels se joignaient Ordiarp en Soule ou, selon un autre témoin, le lieu de Larrain ou Larreguy situé entre le bourg d’Ordiarp et la chapelle Saint-Grégoire, et du pays de Mixe, le bourg d’Aincie de Beyrie-sur-Joyeuse. Un second témoin incluait Alciette dans les dix porteurs de pains, et réservait aux habitants du bourg d’Aincie la fourniture d’un beau cierge destiné au luminaire de la chapelle? Porté par eux la veille, et placé sur le chandelier en fer «de grandeur démesurée», il était allumé la veille aux vêpres, et restait allumé jusqu’à la fin des cérémonies du lendemain.
Le commandeur d’Aphat-Ospital ou son fermier donnait de tout temps en ce jour un litre d’huile et une chandelle, ou deux petits cierges, selon d’autres, pour le luminaire. Les pains étaient ensuite partagés, trois réservés au chapelain de Saint-Sauveur, tandis que le commandeur en retenait cinq, les deux restant étaient consommés sur place pour la collation des porteurs. L’un des témoins était le fermier de la maison Laurhibarrea pour le compte du commandeur d’Aphat-Ospital.
Le porteur légendaire de l’intransportable chandelier de la chapelle n’était autre que le valet de la maison, poursuivi par la dame sauvage, basa andere, et le seigneur sauvage, basa jaun, et délivré par la sonnerie de la cloche de Saint-Sauveur. La brassage des habitants des villages de la vallée en contact avec les bergers n’a pu que favoriser le répertoire et la diffusion des légendes, et familiariser la trajectoire dans les airs de la servante de Beyrie-sur-Joyeuse et sa délivrance au-dessus de la chapelle. Qu’attendait le prêtre au pied de l’autel, sinon la venue d’un passant qui réponde à ses prières et lui ouvre les portes du ciel. Ces légendes ne sauraient occulter l’empreinte trois fois sacrée du lieu, les traces des pèlerins de Saint-Jacques et de Notre-Dame de Musquilda, et la dévotion continue au Sauveur.

Installation du commandeur d’Aphat-Ospital, Ramires de Arellano, 1773
Jusqu’à la Révolution et la spoliation des biens de l’Ordre de Malte, le patronage de Bustince et d’Iriberry, le patronage de Mendive, la propriété de la maison Laurhibarrea et de la chapelle Saint-Sauveur relevaient de la commanderie d’Aphat-Ospital, comme le rappelle pour Saint-Sauveur la réception du nouveau commandeur d’Aphat-Ospital le 13 juillet 1773.
Le titre accordé par le grand maître de l’Ordre de Malte, don François Ximenez de Texada, indépendamment de toute intervention et investiture de l’évêque diocésain, était daté de l’île de Malte du 24 mars 1772, conformément au calendrier de la Chancellerie de Malte, soit du 24 mars 1773, selon la datation ordinaire. Le grand prieur de Navarre, don Sébastien de Sarasa, déléguait à son tour pour la réception don Pedro Aredo de Mirafuentes, commandeur de Carchetas, assisté de deux religieux de l’Ordre. Lecture faite de l’investiture de Malte, le notaire royal et apostolique, Mathieu Mirande, procédait à la réception: «Par l’élévation dudit Seigneur Grand Maître, la présente commanderie ayant vacqué, il a été nommé par led. titre, et désirant en prendre possession il m’a requis de l’installer, en conséquence moid. notaire ayant pris led. seigneur Ramires de Arellano par la main droite je l’ai introduit dans lad. maison chef lieu de la commanderie et l’ai installé en la possession réelle, actuelle et corporelle d’icelle, ainsi que des biens, droits et honneurs dépendant de lad. commanderie en quoi qu’ils puissent consister, et dont les seigneurs commandeur ont joui ou dû jouir; ce faict m’étant de suite transporté avec led. Seigneur Ramires de Arellano, des assistants ci-dessus et desd. témoins bas-nommés dans l’église de Saint-Blaise d’Aphat-Ospital dud. présent lieu en observant les mêmes formalités, j’ai mis led. seigneur Ramires de Arellano en la possession réelle actuelle et corporelle de lad. église et de tous les droits y attachés, tant honorifiques que autres, et en quoi qu’ils puissent consister en lad. qualité de commandeur par la libre entrée en ladite église, prise de l’eau bénite, prières à Dieu devant le grand autel, visite du tabernacle, fonts baptismaux, son des cloches, entrée dans la sacristie, ouvert et fermé la porte de lad. église, siégé au banc appartenant au seigneur commandeur, et autres droits honorifiques à eux attribués, tels entre autres de patron de la cure, ensemble du droit de propriété de la chapelle de Saint-Sauveur située à la montagne au-dessus de Laurhibar dépendante de la présente commanderie, à laquelle prise de possession lue et publiée à haute et intelligible voix personne ne s’est opposé» (3).
Pris par un jour de brouillard dans la montagne d’Okabe, j’ai terminé mon errance sur la chemin de Saint-Sauveur.

(1) Larragueta: El gran Priorato de Navarra de la Orden de San Juan de Jerusalem, document 544.
(2) Archives départementales de Pyrénées-Atlantiques, Registre des Etats de Basse-Navarre, 1666.
(3) Archives départementales de Pyrénées-Atlantiques, III E 10.264.

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