Jean Barbier: processions

Saint-Sauveur d’Iraty
Processions et pèlerinages

Par Jean Barbier

Gure Herria, lehen urtea-6, 1921eko errearoa

Jean Barbier

  1. La procession de Mendive
De temps immémorial, le jeudi même de la Fête-Dieu, se célèbre le grand pèlerinage de Saint-Sauveur. De tous les coins du pays, de Larrau à Baïgorry ou St-Palais, on accourt au vieux sanctuaire, si minutieusement décrit, si délicieusement situé par la plume exercée de Monsieur Colas.
Mais avant d’en parler, il faut dire autre chose. Quinze jours avant la Fête-Dieu, et de temps immémorial aussi, la paroisse de Mendive, dirige vers Saint-Sauveur sa procession particulière, personnelle — si j’ose dire. C’est comme une préparation à la grande fête. On serait tenté de penser que Mendive, de tout temps, a comme cédé à une tentation de jalousie… pieuse. Quinze jours après, tout le pays bénéficierait sans doute des grandes largesses du Sauveur, mais auparavant, ce jour-là tout au moins, le sanctuaire vénérable serait à eux, à eux seulement, et à quelques rares et indiscrets pèlerins d’Ahaxe ou de Lecumberry (1).
Donc, ce jeudi qui précède la Fête-Dieu de quinze jours, la paroisse de Mendive, à la suite de son glorieux porte-croix, et sous la conduite de son pasteur, prend le chemin raviné que nous a montré Monsieur Colas. La procession est rude. Elle n’en est que plus méritoire, et c’est ce qui en fait peut-être le sérieux attrait pour ces paysans aux jarrets d’acier, aux gosiers infatigables, à la foi robuste surtout. Le porte-croix, le curé peuvent ne point regarder en arrière: ils vont, ils seront suivis jusqu’au bout.
Autrefois, et cela se faisait encore il n’y pas si longtemps, lorsque la longue théorie parvenait auprès de Partidaenia, elle se trouvait en présence de la grande croix en pierre, que Colas a vue depuis au débouché même du plateau. Devant cette croix, se faisait alors l’exercice préliminaire du chemin de Croix. Puis on prenait le dernier tronçon du sentier très abrupt, tout le long duquel se dressait quatorze croix de bois, et devant ces croix de bois se faisait pieusement les quatorze stations de rigueur. On respirait enfin sur le plateau et l’on arrivait au sanctuaire, salué par la vieille cloche qu’un registre de Mendive de l’an 1620 porte avoir été achetée par un Barbero de la maison Oxobia de Lecumberry. Cette maison existe encore, près de l’école communale toute neuve de cette dernière commune. Et c’était ensuite la grand’messe chantée à pleins poumons par les Mendibiars qu’avaient à peine essoufflés les pentes interminables. Et puis, c’était enfin la dislocation, afin que chacun pût se livrer à ses particulières dévotions, et répandre devant l’autel ses intentions les plus secrètes.
Plus tard, le vent, la pluie devant faire rage sur la montagne, les croix de bois s’affaissèrent l’une après l’autre. On les relevait, on ne les remplaçait guère. On continuait tout de même le chemin de croix séculaire, en s’arrêtant à l’endroit exactement repéré où les croix s’élevaient autrefois, et le curé actuel de Mendive, M. l’abbé Erriest, se souvient d’avoir, à son arrivée dans la paroisse en 1892, présidé à l’un ou l’autre de ces chemins de Croix solennels, toujours maintenus parce que quelques croix demeuraient encore debout. Puis les dernières de ces reliques vénérables ne furent plus elles-mêmes qu’un poignée de bois vermoulu, épars sur le sentier. Alors, et à bon droit, on cessa de faire ce chemin de Croix… dans et devant le vide.
Entre temps et précisément parce que l’antique chemin de Croix cessait, tous les jours un peu plus, d’en être un, par la ruine et la disparition des petites croix de bois, entre temps la grande croix de Partidaenia avait été enlevée de la pelouse verdoyante où elle s’érigeait, et transplantée où elle se trouve maintenant, au débouché même du plateau. La croix en métal qui surmontait le piédestal, et qui avait peut-être même remplacé une première croix de pierre, fut plusieurs fois arrachée et finalement brisée par des vandales étrangers au pays, lors des travaux encore récents de la forêt d’Iraty. M. l’abbé Erriest s’est plusieurs fois élevé contre ces… bochismes (2). Patiemment, il a relevé le signe sacré, et aujourd’hui, une modeste croix de fer est là qui affirme sa victoire et celle du divin crucifié. Espérons que la reprise des travaux n’amènera pas de nouveaux vandalismes, et que M. Ybarnégaray, président énergique du syndicat de Cize, sera un peu là, comme il fut un peu là devant d’autres vandales. Evidemment, on se surprendra à regretter la disparition de ce chemin de croix séculaire, l’émiettement de ces humbles croix perdues dans la montagne.
Voici quelque chose qui tempérera nos regrets. On ne fait plus, il est vrai, l’exercice solennel du chemin de la Croix, sur les sentiers abrupts, parce que… nous avons horreur du vide. Mais, cette horreur du vide, un curé de Mendive, heureusement, a su la concilier avec le respect et le maintien de la tradition. Avant M. Erriest, avant M. Inda, avant même le réputé M. Ahado, il y a quelque cinquante ans, régnait à Mendive un curé qui se nommait Estebana.
Cet excellent prêtre originaire d’Ossès, m’a-t-on dit, fut navré de voir tomber, l’une après l’autre, les vieilles croix de bois. Il pensa, un moment, à les remplacer par d’autres croix toutes neuves. Mais celles-ci disparaîtraient évidemment comme avaient disparu celles-là. Des croix de pierre, alors. Mais quoique plus résistantes, elles disparaîtraient elles aussi, parce que plantées sur les arêtes vives des hautes collines.
Il conçut et réalisa autre chose. Par ses soins, un fin tailleur de pierre de Mendive, le père de madame Oxaragan encore vivante en cette commune, exécutait quatorze stations de pierre galbées, dont les treize premières furent adossées aux murs de la chapelle même de Saint-Sauveur, tandis que la quatorzième s’élevait à part, du côté nord. Chaque station, posée sur place, fut payée, précise-t-on, cent francs.
M. Colas nous a décrit ces stations; il nous a dit aussi l’état lamentable dans lequel gisent plusieurs d’entres elles. M. Estebana n’avait que trop raison, on le voit, de craindre les intempéries, et aussi les vandalismes stupides. Mais peut-être le mal est-il réparé, puisqu’on nous l’a dit réparable, et l’on pourra reprendre les chemins de croix individuels autour de la chapelle.

  1. La Fête-Dieu à Saint-Sauveur. — Le pèlerinage.
Un mot, maintenant, du pèlerinage vraiment considérable que nous avons dit se faire à Saint-Sauveur, le jour même de la Fête-Dieu, le jeudi du Corpus Domini. On y vient d’un peu partout, qui à pied, qui à cheval. On n’y voit pas encore d’automobile, mais cela viendra. Malgré l’affluence, on doit le dire bien haut, aucun désordre n’est à redouter. La chanson souletine que l’on vous donnera peut-être dans le même numéro de la revue, pour synchronisme, voudrait nous faire croire que c’est à Saint-Sauveur, ce jour-là, un peu comme en Bretagne les jours du pardon. J’incrimine le couplet que voici:
«Salbatore gora de Garazi-aldian;
Ni ere han nunduzun iragan astian,
Debozione gabe, han senthoralian, (1)
Ene gazte lagunak han beitziradian».
N’en déplaise au gracieux poète qui, dès le premier coup d’aile, s’élève jusqu’à Saint-Sauveur, il dut se trouver bien isolé, à peu près seul, dans ses goûts de dissipation mal venue. Le pèlerinage de Saint–Sauveur, nous le répétons, n’a rien des pardons de Bretagne. Les jeunes sont loin de dominer et si parfois les Bas-Navarraises ne dédaignent pas le galochier ou le garde-forestier souletins, il est plutôt rare de les voir se laisser prendre aux belles manières du pèlerin de Larrau ou de Sainte-Engrâce.
Tout ce monde, dès avant la grand’messe, se presse dans la vieille église, devant l’autel, devant les statues assez banales de la Vierge, de saint Joseph et de saint Michel, ou encore devant le Christ placé sur le côté.

San Migel (Eugène Goyheneche, Le Pays Basque, SNERD, 1979, 21 or.), 1985ean ebatsia.

On se bouscule pour «prendre les Evangiles» que le curé de Mendive récite inlassablement. Combien de misères, qui par la miséricordieuse bonté du Sauveur, sont rejetées là, au pied de cet autel rustique, comme sont rejetées les guenilles qui pèsent sur nos épaules! Que de miracles de la foi dans ce vieux sanctuaire dont quelques-uns disent qu’il remonte à Charlemagne (?)!
Voici la grand’messe, voici les gens débordant sur la pelouse, parce plus une place n’est disponible dans la chapelle dont la voûte surbaissée écrase les voix ardentes des pèlerins. Ce n’est pas du chant grégorien, et tel gourmet du torculus (4) que je connais au Pays de Cize, frémirait d’entendre ça. Mais, que c’est beau!
Puis, c’est encore «les Evangiles» pour les retardataires, pendant que les pèlerins vont prendre un repas bien gagné, qui dans l’abri offert à quelques pas par un hangar hospitalier où l’on débite un peu de tout, qui, simplement, sur la pelouse ravissante entourant la chapelle. Et c’est alors, dans un spectacle charmant, la saine et franche gaité, sans presque pas de notes discordantes. Les rires fusent de toutes parts, les invitations se croisent à la volée; on se sent à l’aise d’avoir accompli un vœu, fait il y a des mois, dans le sanctuaire le plus intime de son cœur.

 Saindia
(Arg. Olivier de Marliave)
 
Puis c’est enfin l’heure du départ, car le soleil déjà descend, et la traite est longue jusqu’à Larrau, Urepel ou Beyrie. On va donc partir, mais pas sans avoir prié dans le petit édicule placé en avant de la chapelle, et qui a nom Chaindia. M. Colas, en fin d’article, nous en a dit un mot. Nous dirons plus loin la légende impressionnante qui a trait à l’édicule vénéré. Devant l’image de la jeune fille à la pioche, chacun jette sa pièce de monnaie, fait une prière et se lève enfin pour partir. Pendant qu’un à un, ou par groupes, s’éloignent les pèlerins, retournons un instant à la grande chapelle. M. Le curé, là-haut, dans la grande pièce au-dessus, achève de dîner avec ses hommes.
Des lumières brillent dans un coin. Oh! l’étrange chose! Est-ce un chandelier, est-ce un meuble? Les pèlerins ont à cette chose accroché des cierges qui achèvent maintenant de se consumer. C’est le fameux chandelier de Saint-Sauveur, autour duquel on a fait cercle toute la journée. Mais, encore une fois, est-ce bien un chandelier? Comme je souhaiterais qu’on en prenne une épreuve photographique ou tout au moins un croquis, pour les lecteurs de Gure Herria ! 

Kanderailua (Eugène Goyheneche, Le Pays Basque, SNERD, 1979, 21 or.), 2018an ebatsia.

 La légende prétend que c’est un chandelier en argent, et qu’il est tout noir aujourd’hui par suite de deux incendies successifs. Noir, il l’est certes. En argent? Il n’y paraît guère. Ne se rencontrera-t-il pas un orfèvre, curieux assez pour contrôler la légende sur ce point? Cet objet extraordinaire vraiment ne porte pas trace d’un travail artistique quelconque. Il mesure environ deux mètres. Sur un trépied point très élevé, se dresse un tige à pointe que j’appellerai tige centrale. Six anneaux, six cercles sont horizontalement portés à cette tige centrale, tandis que six barres parallèles à la tige du milieu, raidissent et consolident extérieurement les six anneaux, dont l’un reste cependant mobile. De l’un de ces anneaux s’échappe, sur le côté, une tige recourbée en pointe, comme une crémaillère. Cette pointe aura peu-être fait penser à un chandelier à jour, tournant autour d’un pivot mobile.
La légende nous en dira l’histoire véritablement dramatique, sans toutefois nous livrer le secret de ce meuble mystérieux. Passons donc, sans plus, aux légendes, curieuses en tous points, concernant l’édicule Chaindia, la chapelle plusieurs fois centenaire, et son fameux chandelier (5), légendes qui expliquent, au moins en partie, l’extraordinaire dévotion de Saint-Sauveur d’Iraty.

  1. Beaucoup de renseignements qui suivent m’ont été fournis par le R. P. Arnaud O. S. B., directement aussi par l’abbé Erriest, curé de Mendive, mais surtout Jean Yribarnegaray-Undarme de Lecumberry.
  2. Le bochisme est un terme popularisé durant la première guerre mondiale et qui désigne le comportement des Allemands (note de 2017).
  3. Pèlerinage. Du mot sent, sanctus évidemment.
  4. Torculus, n. m. latin: figure de la notation neumatique médiévale, formée par la réunion de trois accents, adoptée dans la notation du chant grégorien pour exprimer une succession de trois notes, dont la seconde est plus élevée, sur une seule syllabe (note de 2017).
  5. Nous ne mentionnons que pour mémoire le puits vraiment infect creusé pour recevoir les eaux qui descendent du toit de la chapelle, et où pas mal de pèlerins vont faire des ablutions… dans la vase. J’avoue qu’il faut avoir la foi solide autant que cette vase elle-même.

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