Louis Colas: la chapelle

La chapelle de Saint-Sauveur
(Elichagaray)
sur le chemin de montagne menant à la forêt d’Iraty

Par Louis Colas
Professeur au lycée de Bayonne
Gure Herria, lehen urtea-6, 1921eko errearoa

La forêt d’Iraty est l’une de nos curiosités pyrénéennes. Il est peu de touristes qui ne la connaissent, au moins de nom. Son accès n’est pas aisé. On nous permettra de décrire rapidement la route à suivre, mais de nous arrêter à Saint Sauveur. Cette chapelle —véritable église par ses dimensions— est, en effet, fort intéressante.
Partant de Mendive, le touriste suit d’abord la route côtoyant la Nive jusqu’au lieu-dit le Pont-Neuf de Laurhibar. Sans se laisser tenter par une excursion dans les gorges où gronde le torrent, il prend le sentier qui, tournant à droite, s’enfonce dans la montagne, et arrivé à la maison abandonnée (appelée Benta sur la carte), il continue par le petit chemin abrupt menant doit au sud. Désormais, il est sur le sentier d’Iraty.
Après avoir traversé les pentes où végètent des châtaigniers clairsemés, l’on arrive à la maison Partida; à partir de ce moment, commence une ascension un peu pénible. Le sentier disparaît. Il faut suivre le fond d’un petit ravin très encaissé et s’élevant par une pente assez rapide au flanc de la montagne. A l’époque des pluies, ce ravin doit être un torrent impétueux. Il est presque partout encombré d’énormes cailloux et de troncs d’arbres visiblement roulés par les eaux. Mais l’on est bien récompensé de ses fatigues en débouchant brusquement sur un plateau étroit et long (alt. Maxima, 829 m), orienté sud est-nord ouest.
 
A l’endroit précis où le ravin rejoint le plateau, se trouve une croix de fer modeste, plantée sur un piédestal intéressant. Il est formé de trois assises assez grossièrement taillées, reposant sur des pierres formant deux degrés. L’ensemble est fort primitif et les blocs, assez mal dégrossis, ne sont pas même cimentés. Ils ont une forme octogonale avec quatre grandes faces et quatre sensiblement plus petites. Sur deux de ces faces se trouve reproduit, encadré dans un espèce de carré curviligne, ce fameux signe dans lequel certains archéologues reconnaissent une forme évoluée de Svastika; et qu’ils nomment ainsi (1). La date —1863— peut très bien n’être pas celle de l’érection, mais de la réfection du monument. Une croix de pierre existait existait jadis sur le piédestal. Elle a été remplacée par une croix de fer.
Un peu plus loin, et sur les bords du chemin conduisant à la chapelle Saint-Sauveur, une croix est plantée. Un nom se lit sur les deux faces: MARIA DE IRQUIN. Est-ce une tombe ou, plus simplement un monument commémoratif d’un accident? Cette dernière supposition est la plus vraisemblable. Il n’est pas rare, d’ailleurs de rencontrer sur les chemins du Pays Basque des croix destinées à rappeler une mort subite, un accident ou même un assassinat (2).
Planoa
Quelques centaines de mètres plus loin et c’est la chapelle de Saint-Sauveur. A demi cachée dans un repli de terrain, elle paraît brusquement surgir du sol avec sa toiture renouvelée cette année même. D’ailleurs, le peu de hauteur des murs, surtout du côté ouest, lui permet de disparaître aisément. C’est une construction massive, trapue, dont le toit en pente très déclive ne doit pas retenir longtemps la neige. Les murs, dont l’épaisseur varie de 1,10 m à 1,2 m sont renforcés, du côté sud par d’énormes contreforts. La longueur totale intérieure doit être d’environ 22 mètres (3). La largeur extérieure de la façade est de 8,50 mètres. Ce qui caractérise cette construction, c’est l’élargissement de la nef en se dirigeant vers l’ouest. Il n’y a pas moins de deux «reprises» qui témoignent de réfections successives. D’ailleurs, une tradition orale que j’ai recueillie sur place a conservé le souvenir de l’incendie à deux reprises de cette chapelle (4) et l’inscription peu déchiffrable placée au dessus de la porte ouest (INDART 1722), rappelle probablement la date de la reconstruction partielle.

Le mur sud est excessivement bas (1,50 m près de la façade ouest). Partout ailleurs, il est un peu plus haut, bien que ne s’élevant guère. J’ai noté 1,60 m pour le mur nord près de la façade ouest. Le mur de l’abside est plus élevé, le terrain s’abaissant de l’ouest à l’est. Sur le côté sud, s’élève un petit bâtiment qui sert de sacristie. Ce bâtiment est solidement construit. Deux puissants contreforts s’élèvent contre le mur et un gros massif de maçonnerie commun avec le mur de la chapelle et celui de la sacristie, donne à cette partie de l’édifice un aspect trapu qui n’est pas sans rappeler les murs de Sainte-Engrâce. L’intérieur de ce petit bâtiment a été vraisemblablement aménagé pour servir de maison d’habitation. Le rez-de-chaussée, outre la petite sacristie, renferme une pièce avec âtre pouvant servir de cuisine. Un petit escalier conduit au premier étage divisé en chambres. Il est infiniment probable que Saint-Sauveur dut être, à la belle saison, comme la chapelle de la Rhune, une véritable église temporaire, desservie par un chapelain qui pouvait y résider régulièrement (5). La population qui habitait ces hauteurs à l’époque où le bétail reste dans la montagne, devait être plus considérable que maintenant. C’est ce qui expliquerait les grandes dimensions de l’église. Ce bâtiment, fort vaste si on le compare aux chapelles disséminées dans le Pays Basque et même à certaines petites églises de hameau, peut aisément renfermer, à mon avis, 200 à 300 personnes. Nous savons, par le récent travail de M. le chanoine Daranatz, paru dans cette revue, que l’ermitage de la Rhune était occupé de mai à septembre par un prêtre qui y résidait, et qui s’occupait même de donner quelque instruction aux enfants des pasteurs. Je n’ai jamais vu sur la Rhune des traces de cet ermitage. Mais je serais étonné que la chapelle d’Olhain, à laquelle se rattache le souvenir du P. Clément d’Ascain, eût les dimensions considérables de la chapelle de Saint-Sauveur d’Iraty. Le nom de cette dernière porte encore en basque (Elichagaray) —l’église d’en haut— n’est-il pas un indice du rôle qu’elle dut jouer jadis ?
La chapelle de Saint-Sauveur est aujourd’hui l’objet d’un pèlerinage très suivi. C’est à M. l’abbé Barbier, qui a bien voulu accepté de collaborer à cette étude, que revient le soin d’en parler et d’évoquer les traditions et les légendes qui se rattachent à l’antique sanctuaire d’Iraty. Il est qualifié pour cette tâche et je ne me suis proposé dans ce travail que de signaler les particularités intéressantes qui m’ont frappé lors de mon excursion à Saint-Sauveur. Celle qui mérite d’être signalée tout spécialement, c’est le chemin de croix.
Les treize premières stations sont adossées au mur extérieur de l’église. La quatorzième, de dimensions beaucoup plus grandes, se dresse à quelques mètres en avant du mur nord. Chaque station se compose 1° d’un fût non pas cylindrique mais galbé (6) supportant un dé de pierre en forme de tronc de pyramide quadrangulaire (7). Sur l’une des faces de ce chapiteau est gravé le numéro de la station I, II, III ESTACIONEA, etc. Sur deux autres faces, se retrouve le signe oviphile déjà rencontré sur le piédestal de la croix du plateau.
Chemin de Croix
Les stations du chemin de croix ne sont pas toujours intactes. Seules, les VIIe, VIIIe IXe, Xe, XIIe et XIIIe (auxquelles il faut ajouter la XIVe qui est extérieure) sont bien conservées. Il ne reste des huit autres que le soubassement formé de deux ou trois marches. Les chapiteaux et les fûts gisent épars dans l’herbe. Il ne serait pas très difficile de remettre tout en l’état primitif. Quelques journées d’ouvriers y suffiraient et ainsi se trouverait reconstitué l’un des chemins de croix les plus intéressant —et les plus suggestifs— que l’on puisse trouver au Pays Basque.
Qu’il me soit permis d’insister sur cette question. J’ai fait allusion, plus haut, à ce fameux signe oviphile que l’on rencontre assez fréquemment dans le Pays Basque sur des tombes de toutes formes —sur des maisons— et même sur des meubles (armoires et coffres). L’on voudra bien m’excuser si je laisse de côté toute discussion sur son origine (8). Mais mon opinion sur sa signification n’a pas varié depuis le jour où M. le chanoine Dubarat eut l’obligeance de me faire parvenir un texte de Paracelse où un signe presque semblable est indiqué comme un excellent préservatif contre les épidémies qui sévissent parmi les moutons. Primitivement, tracé sur les portes des bergeries et sur les maisons de propriétaires de troupeaux, on le plaça sur les tombes de ces derniers. Puis, par suite d’une interprétation très explicable, on le mit sur des tombes de prêtres, pasteurs spirituels, et je l’y ai trouvé quelquefois. Depuis, il est vraisemblable que les lapidaires qui en ornent les tombes ou les sculpteurs qui le reproduisent sur le bois, n’y attachent aucune signification et n’y voient qu’un motif de décoration, d’ailleurs assez élégant et caractéristique.
Il y a huit ans que M. Dubarat m’a signalé ce texte de Paracelse auquel j’ai fait allusion plus haut. Depuis, j’ai parcouru une très grande partie des cimetières du Pays Basque et vu des milliers de tombes. Le signe en question ne se rencontre pas partout. Certaines régions en sont dépourvues complètement. On ne le trouve guère que dans les pays de montagnes où précisément les troupeaux sont nombreux (9).
L’intérieur même de la chapelle n’offre rien de bien particulier. Les tribunes ne se prolongent pas sur les côtés, ainsi qu’il arrive dans presque toutes les églises basques. A Saint-Sauveur, elles occupent le fond de l’église, mais s’avancent sensiblement dans la nef et peuvent recevoir un grand nombre de fidèles. Enfin la décoration intérieure est presque absente. Je n’ai découvert aucune inscription, aucun détail de sculpture méritant d’être signalé. Il n’y a pas non plus de pierres tombales. Mais un vieux berger m’a affirmé qu’autrefois on voyait encore quelques traces de tombes autour de l’église, principalement aux environs de la croix isolée qui est en même temps la XIVe station du chemin de croix.
Pour terminer cette rapide description de la chapelle Saint-Sauveur, il faut mentionner une petite maisonnette assez solidement construite appelée Chaindia et qui se trouve en face de la porte ouest. Certaines légendes s’y rattachent. Je suis heureux que l’abbé Barbier ait bien voulu nous les conter. Je termine en le remerciant d’avoir consenti à nous donner ce qu’il sait sur Saint-Sauveur d’Iraty. La poésie des ces récits fera oublier, j’en suis convaincu, la sécheresse presque inévitable dans un exposé tel que j’offre aujourd’hui aux lecteurs de Gure Herria.

(1) Hauteur des trois assises 0,55 m. Elles reposent sur deux marches de 16 et de 25 cm. Comme on le voit, la hauteur totale n’est pas très considérable. Longueur du grand côté de l’octogone 0,20 m; du petit 0,13 m. Ce sont là des mesures moyennes, l’irrégularité des blocs ne permettant pas une mensuration rigoureuse.
(2) Sur le petit chemin menant à l’ancienne commanderie d’Arsoritz, entre Ispoure et Saint-Jean-le-Vieux, existe une croix et une inscription qui rappellent que X… a été homicidé (sic) en ce lieu. M. L’abbé Barbier m’assure qu’il y aurait eu un assassinat sur le chemin d’Iraty.
(3) Je ne garantis pas l’exactitude absolument rigoureuse des cotes portées sur le plan. La pluie me gênait beaucoup quand j’entrepris de les prendre à l’extérieur — et l’intérieur de la chapelle était encombré de matériaux destinés à des réparations que l’on effectuait. S’il y a quelques erreurs, je m’en excuse, mais je ne les crois pas bien considérables.
(4) Tradition confirmée par la Légende du chandelier qui sera racontée plus loin.
(5) Gure Herria, I, p. 45 et sqq. La chapelle d’Olhain disparut en 1795, lorsque la région fut couverte de fortifications de campagne, à l’époque de la guerre contre l’Espagne. M. Daranatz donne à ce sujet de l’ermitage de la Rhune et de la nomination de son desservant, de curieux documents inédits fournis par les archives municipales de Vera. Souhaitons que quelque chercheur puisse trouver, pour Saint-Sauveur d’Iraty, des documents analogues à ceux dont M. Daranatz a su tirer un excellent parti.
Les seuls renseignements que je connaisse sont ceux que donne Haristoy (Paroisses du Pays Basque, II, p. 264. Il est dit que la chapelle de Saint-Sauveur est mentionnée au XIIIe siècle sous le nom de Sanctus Salvador juxtà Sanctum Justum (collection Duchesne) et dans les contrats d’Ohix vers 1460, sous le nom de Sent Saubador. La présentation à cette chapelle appartenait au commandeur d’Aphat-Ospital qui, lui-même relevait de celui d’Irissarry (Ordre de Malte). Il y eut, dit Haristoy, des chapelains attachés à cette chapelle. Mais au XVIIIe siècle, ils ne recevaient qu’une autorisation limitée à deux années.
Je dois ajouter à ceci des renseignements que m’a fournis M. Garacotche, aujourd’hui à Saint-Jean-Pied-de-Port et jadis curé de Lecumberry. Ce qu’il m’a dit fortifie mon hypothèse. Il y eut autrefois deux desservants à Mendive. L’un d’entre eux résidait, plusieurs mois par an, à Iraty. Des pasteurs y ont été enterrés. Un ossuaire, aujourd’hui supprimé, y existait même. Tout cela permet de supposer que la population pastorale de la région fut, jadis, beaucoup plus nombreuse que de nos jours.
(6) Ceux qui parcourent le Pays Basque ont eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises, des fûts de colonnes galbés. La chose n’est pas nouvelle. On sait que les Grecs donnaient souvent aux colonnes soutenant leurs temples un renflement particulier parfois très marqué et qu’ils appelaient entasis. Leur but était de combattre l’impression désagréable d’étranglement que donne la colonne cylindrique et de corriger la laideur et la sécheresse des lignes que la perspective accuse davantage. Il s’agissait alors de colonnes parfois très hautes et d’un ensemble architectural dont l’effet était minutieusement calculé. Mais ici, à Iraty, il s’agit de fûts isolés ayant à peine un mètre de hauteur. Mentionnons, également le fût galbé de la croix de Galcetaburu, non loin d’Utziat, celui de la croix érigée à l’angle de la maison Ospitalia d’Irissarry, etc. On ne saurait guère invoquer à ce propos un tradition hellénique ! La chose est d’autant plus remarquable que le travail d’une colonne galbée est infiniment plus délicat que celui d’un fût cylindrique, ce qui permet de croire que certains lapidaires de la région étaient d’habiles ouvriers. Je signale en passant, sans prétendre le résoudre ce petit problème d’archéologie euskarienne.
(7) Hauteur de fût: 0,98 m. Hauteur du dé de pierre formant chapiteau : 0,22 m. Les marches du soubassement ont 0,15m.
(8) L’origine et la signification de ce signe ont déjà fait couler beaucoup d’encre et provoqué quelques études intéressantes. J’ai essayé de résoudre cette question en 1914, dans un mémoire présenté au congrès de Tarbes. Je ne puis, sans sortir du sujet, exposer tout au long mes conclusions, ainsi que les arguments qui les dictèrent. La présence de ce signe —que j’appellerai volontiers signe oviphile— dans les régions riches en troupeaux de moutons, m’a fortifié dans mon opinion et je ne puis partager l’avis de ceux qui y voient une forme évoluée de l’ancienne croix gammées ou svastika hindou.
(9) Des renseignements précis que M. Barbier a recueillis et qu’il a bien voulu me transmettre, il résulte que ce chemin de croix fut érigé en 1870 par le curé de Mendive, M. Estebena. La reproduction du signe oviphile à une époque aussi rapprochée que la nôtre n’a rien d’étonnant. Je l’ai rencontré sur des tombes datant également du XIXe siècle. Il est infiniment probable que cette décoration avait cessé à cette époque d’être intentionnelle. Mais comme on le rencontre fréquemment dans les régions pastorales, sa survivance s’explique aisément. Il serait intéressant de connaître là-dessus l’opinion de celui qui désigna cet emblème pour orner le chemin de Croix d’Iraty.

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