A. Duny-Pétré: le voleur restitue le chandelier

Le chandelier de St Sauveur d’Iraty

réapparaît


Volé il y a trois ans et demi, le chandelier de la chapelle de montagne a été déposé devant la porte de la mairie de Mendive dans la nuit du 19 mai. La messe annuelle aura lieu à St Sauveur le 26 juin prochain à 10h 30. Gageons qu’elle sera animée d’une ferveur toute particulière.

 

Le maire de Mendive Sebastian Ihidoy, auprès du chandelier restitué

Le cambriolage avec fracture de la porte de la chapelle de Saint Sauveur d’Iraty, a lieu en décembre 2018. Seul le chandelier monumental est volé. Mesurant plus de deux mètres de haut, il pèse lourd, à n’en pas douter deux personnes sont nécessaires pour le transport. Grand est l’émoi de Sebastian Ihidoy, maire de Mendive propriétaire de la chapelle. Il connaît la valeur symbolique et culturelle de cet objet dont parle plusieurs légendes du Pays Basque (1) recueillies il y a plus d’un siècle par J. F. Cerquand et Michel Barbier. Des habitants de la vallée d’Hergaray transmettent oralement encore aujourd’hui ces récits immémoriaux. Nombreux sont les fidèles qui fréquentent la messe annuelle au mois de juin ; ils participent à son rituel chanté qui voit le prêtre conduit par Iguzki saindua, bénir troupeaux et cultures aux quatre poins cardinaux, sans oublier la présence de la statue de Saindia amenée sur les lieux pour l’occasion.

Tous se sont émus de cet acte de vandalisme. Le maire de Mendive ne veut pas que ce vol tombe dans l’oubli, passe par perte et profit. Il ne lâche pas l’affaire. Avec l’aide des associations Terres de Navarre et Lauburu, Sebastian Ihidoy décide à l’automne dernier de fabriquer un nouveau chandelier : une copie de l’ancien ? Mais les quelques rares photos existantes sont bien imprécises (2). Une œuvre moderne ou au contraire inspirée par la ferronnerie traditionnelle des Pyrénées ? Bien qu’ils n’aient pas droit au chapitre en la matière, les Monuments historiques sont consultés à Bordeaux. Sans grand résultat, ils restent évasifs. Une spécialiste est alors sollicitée : il s’agit de Michèle Pellet, historienne d’art renommée en matière de ferronnerie du Moyen Age à nos jours et auteure de nombreux ouvrages. Elle accepte de proposer une dizaine d’esquisses qui sont soumises au conseil municipal de Mendive. Celui-ci en choisit une, qui rappelle le chandelier d’origine. Michèle Pellet se remet à l’ouvrage et élabore les plans détaillés du chandelier. Le forgeron d’Ossès Andoni Héguy est vivement intéressé par le projet, il accepte à la mi-mai l’exécution de ce travail.

Et le 19 mai, surprise… Dans la nuit, le chandelier volé trois ans et demi plus tôt, est déposé devant la porte de la mairie de Mendive. Il est accompagné d’un message en euskara signé par la Basandere légendaire qui dit restituer le chandelier aux habitants du village. Visiblement l’auteur est euskaldun et connaît parfaitement les légendes de notre pays. Il tourne l’affaire en plaisanterie en prenant appui sur la légende elle-même, comme pour minimiser le délit et accuse les Chrétiens d’être les auteurs du vol. Ils ont bon dos. L’explication est de mauvais goût, l’humour douteux. 

 

Le message accompagnant la restitution du chandelier

 

Nous sommes partagés entre la joie de cette restitution imprévue et l’écœurement. L’affaire laisse perplexe. Le cambrioleur n’a pas volé l’objet pour le vendre. Il l’a conservé. En général, lorsqu’un objet d’art est volé, il est confié à un receleur, le temps que l’objet tombe dans l’oubli, avant d’être mis sur le marché. Cela n’a pas été le cas. Le voleur a sans doute eu vent du projet municipal de réalisation d’une œuvre de remplacement. A-t-il été pris de remords ? Il est vrai qu’il est gênant d’avoir un tel objet dans sa salle à manger, forcément les visiteurs le remarquent… Quant à le cacher dans son grenier ou son garage, à quoi bon ? Le voleur ne profite même pas du plaisir de l’admirer.

Sans doute lira-t-il ces lignes. Qu’il sache que s’approprier un élément important du patrimoine de ce pays est méprisable, indigne d’un Basque qui se respecte. En mai 1975, une vierge en bois du XIVe siècle fut volée en l’église de Behorlegi. Puis ce fut le tour de la statue de St Cyprien d’Azkonbegi. Dans les années 80, la statue de St Michel terrassant le dragon fut volée à Saint Sauveur d’Iraty, il ne nous en reste qu’un photo dans le livre d’Eugène Goyheneche, le Pays Basque. En 2019, les plaques routières du XIXe disparaissent à Ainhoa et Ordiarp. Il y a quelques semaines, une stèle discoïdale labourdine était à vendre aux enchères. Elle a finalement été retirée.

Ce vol est significatif de l’état de précarité du patrimoine basque, dans un Pays Basque Nord dont les institutions propres naissent à peine. Les moyens pour le sauvegarder, le restaurer, le valoriser demeurent très faibles. Il n’est bon bec que de Paris. Seules quelques associations « locales » se démènent avec les moyens du bord. L’avenir de la culture basque n’est pas la préoccupation première des Bordelais ou des Parisiens qui se disent amoureux de notre pays seulement pour y pratiquer le surf, bouffer des pintxos, faire monter les prix et artificialiser les sols. Le patrimoine matériel se limite pour eux à de jolies maisons à colombages peintes en blanc et rouge, quant au patrimoine immatériel, le Vino griego des fêtes de Bayonne fera la farce. Pour le reste, face à la violence des prédateurs, à l’inertie et à l’indifférence des décideurs bailleurs de fonds, les habitants font ce qu’ils peuvent. Leur vigilance est de mise, elle doit se poursuivre.

Au delà des questions sans réponse, grande est la joie du maire de Mendive et sans doute de nombreux habitants de la vallée de Hergaray. Pour la prochaine messe annuelle le 26 juin prochain à 10h 30, le chandelier sera à sa place dans le chœur de la chapelle et… solidement fixé au sol.

(1) Voici les textes recueillis par J. F. Cerquand et la version en français de Michel Barbier. Ils sont précédés d’un article paru en 2008, suite au vol.

(2) Une des deux connues est publiée page 176 du livre Behorlegi bere mendiari datxikola, une montagne un village, Hergarai bizi éditeur, 2021, 220 p.

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