Clément Urrutibéhéty: hôpital

L’hôpital de Saint-Sauveur de Laurhibar
et la maison Laurhibar

Clément Urrutibéhéty
Extrait de Terre des Basques, terre d’accueil
Association des amis de St-Jacques, 340p., 2009. Pages 51 à 53.

Un document du XIIIe siècle montre qu’il existait un hôpital anciennement à Saint-Sauveur de Laurhibar ou d’Iraty. La chapelle Saint-Sauveur, bâtie en Haute-Navarre en reçoit un nouvel éclairage, au crédit de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem et de l’hospitalité au Pays Basque.
La présentation à l’hôpital Saint-Sauveur de Laurhibar appartenait sans partage au grand prieur du prieuré de Navarre ou à son procureur, titulaire des Commanderies d’Irissarry et d’Aphat-Ospital. L’évêque de Bayonne, Dominique de Mans, donnait et concédait au prêtre Arnaud de Beorlegui sa vie durant, l’église Saint-Vincent de Mendive, avec tous ses droits et appartenances, à Ossès le 5 mai 1298, sur présentation du commandeur d’Irissarry et d’Aphat, frère Guillaume de Mauléon, procureur de frère Jordan de Caudérac, grand prieur de Navarre.
«Nos Dominicus miseratione divina episcopus Baionensis, ad presentationem fratris Raymundi Guillelmi de Maloleone, preceptoris de Irissari et de Appate, procuratoris venerabilis viri Jordani de Cauderaco, prioris ordinis sancti Iohannis Iherosolimitani in prioratu Navarre, cui presentatio pertinet sine aliquo medio ad Hospitale sancti Salvatoris de Laurhibar damus et concedimus fratri Arnaldo de Beorlegui presbitero ecclesiam sancti Vincensii de Mendavto cum omnibus iuribus et pertenenciis suis quamdiu vixerit» (1). L’église de Mendive était rattachée à l’hôpital de Saint-Saulve de Lhauribar, du patronage de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem.
Il sera fait mention en 1350 de l’hôpital de Laurhibar dans la paroisse de Mendive, lospitau de Laurhibarre.
Un rôle de 1366 mentionne l’hôpital d’Aphat et de Laurhibar, lospitau d’Apate et de Laurhibarre, groupant sous la même enseigne la commanderie d’Aphat-Ospital et l’hôpital de Laurhibar. Cet établissement correspondait à la chapelle Saint-Sauveur d’Iraty, datée du XIIIe siècle, mais apparentée au XIIe siècle par son chevet de type roman. Le patronage du Sauveur, introduit par les premières vagues de christianisation, est volontiers associé à d’anciens hauts lieux de culte auxquels il s’est substitué, tel le culte solaire à Saint-Sauveur d’Ibañeta.
Le chemin de la chapelle dite du XVe siècle Saint-Sauveur-des-Ports, Sent Saubador deus Pors, conduit à la forêt et au port de la montagne d’Iraty, et de là en Haute-Navarre, à Ochagavia ou à Orbaizeta. Il prend son essor au pied de la montagne, à même la maison Laurhibarrea, dépendante d’Aphat-Ospital après la traversée du pont du Laurhibar, qui se faisait à gué au quartier Basaburia à Mendive.
Il montait de là vers la maison Benta, abandonnant des pavés aux lacets du sous-bois, et atteignait la crête d’Iraty au col d’Haritzkuretxeta. La croix de 1863 située au nord de la chapelle, à la limite des territoires de Mendive et de Lecumberry, se dresse au-dessus d’un socle de pierre orné d’une marguerite solaire, face à l’horizon de la montagne sacrée d’Okabe. Le décor des marguerites se répète autour de la chapelle. La croix se trouvait auparavant au voisinage de la maison Partidenia, au départ du chemin de Croix et du sentier abrupt le long duquel s’alignaient 14 croix de bois.
Arnaud d’Etcheberry, fermier de la maison Laurhibar pour le compte du commandeur d’Aphat-Ospital, et témoin dans l’enquête de l’ordre de Malte en 1708, situait la maison sur le chemin de la montagne d’Iraty, ente la montagne Archaro au sud et la montagne Ametzerene au nord. Elle appartenait ainsi que la chapelle d’Iraty, à la commanderie d’Aphat-Ospital.
Louis de Froidour, réformateur des forêts du royaume de Navarre deça les monts, signale à plusieurs reprises sous d’autres noms la maison Laurhibarrea, lors de son inspection en forêt d’Iraty. Un 10 novembre 1672, remontant le cours du Laurhibar depuis Saint-Jean-Pied-de-Port, accompagné du syndic des Etats de Navarre, Etchessarry, et d’Arbide de Saint-Jean-Pied-de-Port, il trouvait le pays cultivé jusqu’à Bascassan, des landes et des bois au-delà, et dépeuplé. Il voulut gravir la montagne d’Iraty et visiter les sapins propres à la marine. Un paysan de Mendive le guida au pied de la montagne, dans la dernière métairie de l’ordre de Malte: «…Il nous aurait mené suivant le cours de ladite rivière jusques à la dernière métairie qui est sous la montagne, et qui est dépendante d’une commanderie de Malte, où ayant passé ladite rivière à gué, nous aurions commencé à monter la montagne, le long de laquelle presque depuis le bas jusques en haut, nous nous aurions trouvé en espèce de lieu ou chemin assez étroit en forme de trace ou fossé, par lequel ledit paysan nous aurait dit qu’il avait autrefois vu que l’on faisoit descendre les mâts que l’on tiroit de ladite montagne d’Iraty, mais nous aurions trouvé ledit chemin si âpre que nous aurions été obligez de quitter nos chevaux et de grimper le mieux qu’il nous auroit été possible, jusques à ce que nous aurions gagné le sommet de la montagne, où étant arrivez nous aurions suivi la creste pendant un quart de lieue, tirant toujours vers le port, et ayant à droite et à gauche de grands précipices».
Mais tout à coup, ils furent surpris par la pluie et par le brouillard, particulièrement dangereux, et contraints d’arrêter leur progression, et de descendre non sans beaucoup de difficulté, trop heureux de trouver à l’entrée de la nuit un abri dans ladite métairie «où nous aurions été obligez de rester longtemps pour nous essuyer et pour faire sécher nos habits et nos linges», avant de regagner Saint-Jean-Pied-de-Port. Louis de Froidour parle plus avant de «la métairie de St-Jean où nous nous sommes arrêtés», maison Laurhibar, dite de Saint-Jean-de-Jérusalem ou de Malte. Nous-mêmes par deux fois surpris par le brouillard et égarés, nous n’en sommes sortis qu’en suivant la pente de la montagne jusqu’aux premières cabanes.
Louis de Froidour reproduit le mémoire du prieur de Bayonne et des commissaires de la marine, un état des dépenses pour nettoyer la rivière jusqu’à la commanderie de Lecumberry et établir un chemin depuis ladite commanderie jusqu’à la forêt d’Iraty, le tout pour, par terre et eau, transporter à Bayonne.
Ce mémoire des dépenses évalué à 36.390 livres, envisageait l’aménagement de la rivière jusqu’à la maison Laurhibar, qui se trouve déplacée de Mendive à Lecumberry, élevée au rang de commanderie, dépendante en réalité de la commanderie d’Aphat-Ospital. Le nouveau chemin devait partir du pied de la montagne, depuis ladite commanderie jusqu’à la chapelle Saint-Sauveur et la montagne où sont les mâts.
Natif de Mendive, le grand-père du regretté chanoine Berçaits, curé-doyen de Saint-Palais, évoquait le passage des pèlerins par la chapelle et les ports, le pèlerinage de Saint-Jacques, Jondonaakiko beila, et des marcheurs de Saint-Jacques, Jondonaakitarrak, qui abordaient la vallée, la maison de Laurhibar et le chemin d’Iraty.
C’était au XVIIe siècle le chemin emprunté par les Bas-Navarrais, dévots de Notre-Dame de Muskilda. Ils se rendaient à la chapelle de Muskilda au-dessus d’Ochagavia, l’un des principaux pèlerinages de la montagne basque, avec Notre-Dame de Roncevaux, et subissaient les mêmes désagréments de la part des gardes frontaliers que leurs aînés du XIIe siècle.

*
Des fidèles entreprennent de nos jours en la Fête Dieu, l’ascension du col de Haritzkurutxeta et la visite de la chapelle. Le chemin véhicule pêle-mêle des légendes et des rites anciens. Ce haut lieu de culte s’est accommodé d’une foule de croyances, au point d’en oublier son rôle d’hospitalité.
Mendive ne comptait que deux maisons il y a 800 ou 900 ans, selon les dires, Lohibarria et Mikelaberroa. La maison Laurhibar des quatre vallées, déguisée sous la forme Lohibarria, est liée à ces légendes.
Le valet de Laurhibar fut le héros du chandelier de Saint-Sauveur. Il s’attira les bonnes grâces de la dame sauvage, basa andere, et obtint la remise du chandelier d’or qu’il destinait à la chapelle. Il n’en fallait pas davantage pour allumer la colère du seigneur sauvage, basa jaun, et retourner l’humeur de la dame. Poursuivi par le couple sylvestre en direction de la chapelle, il fut sauvé par la sonnerie de la cloche, et déposa la luminaire auréolé de blonds cheveux de la dame à l’intérieur de l’édifice, d’où rien ne saurait le déloger. C’est à peine si deux paires de vaches parvinrent à le traîner au col de Haritzkurutxeta, ou Haritzkurutche, sans pouvoir dépasser la croix qui commandait la descente au village de Mendive. Et si le chandelier en fer forgé a perdu son éclat doré, n’est-ce pas la faute des Espagnols, accusés par deux fois d’avoir incendié la chapelle ? (2)
Autre croyance, quand une lueur brille le soir dans la chapelle, c’est qu’un prêtre veille et attend au pied de l’autel la venue d’un fidèle, le passage d’un pèlerin peut-être, qui puisse répondre à ses prières et lui ouvrir les portes du ciel.
Un édicule auprès de Saint-Sauveur, Chandia, le saint ou la sainte, commémore le vol dans les airs de la servante dans la légende de la maison Inhurria de Beyrie-sur-Joyeuse, qui pour dix sous était allée chercher dans les champs la bêche oubliée par le valet de ferme. Celui-ci, regrettant son argent, la voua au diable, et la servante fut aussitôt saisie par le diable et ravie au-dessus de la cheminée. Les gens de la maison et les voisins se mirent en chasse jusqu’à Larceveau, où les habitants du village prirent le relais jusqu’à la chapelle. L’invocation du Sauveur délivra la malheureuse. On retrouve la même légende à partir du pays de Soule, le même point de chute dans la montagne d’Iraty, porteuse de salut.

*
L’hommage de la chapelle venait de Basse-Navarre et de Soule. Les produits étaient apportés en la fête de la Trinité, encore que la participation de la Soule se réduisait à une paroisse. L’offrande de ce jour, d’après une enquête de 1708, consistait en dix grands et beaux pains fournis par les habitants de dix paroisses ou dix quartiers: Behorleguy, Mendive, Latarce, quartier de Janits, Lecumberry dans la même paroisse de Janits, Ahaxa-Chilo Garatheguy, Bussunarits et Sarrasquete en Cize, le bourg d’Aincie dans la paroisse de Beyrie-sur-Joyeuse, plus une paroisse en Soule non précisée par le premier témoin, fermier de la commanderie d’Aphat-Ospital. Le fermier de la maison de Laurhibar à Mendive, sur le chemin de la montagne d’Iraty, comblera cette lacune, en indiquant le lieu de Larrain en Soule, dans la paroisse d’Ordiarp, en réalité le quartier Larreguy actuel de la carte d’Etat-major, situé entre le bourg et la chapelle Saint-Grégoire d’Ordiarp.
Le fermier de Laurhibar parle aussi de dix pains en provenance de dix paroisses, parmi lesquelles il fait figurer Alciette, incluant sans doute Lecumberry dans Janits: Behorleguy, Mendive, Janits, Latarce, Alciette, Aaxe, Garatcheguy, Bussunarits, Sarrasquette et Larrain en Soule. Plus un beau cierge attribué aux habitants du bourg d’Aincie et destiné au luminaire de la chapelle. Porté la veille, il était mis par eux-mêmes sur la chandelier en fer de grandeur démesurée, et allumé la veille aux vêpres jusqu’à la fin des cérémonies du lendemain. Le commandeur d’Aphat-Ospital ou son fermier donnait de tout temps en ce jour un litre d’huile et une chandelle ou deux petits cierges pour le luminaire. Les pains étaient ensuite partagés, trois réservés au chapelain, tandis que le commandeur en retirait cinq, les deux restant étant consommés sur place pour la collation des porteurs.

(1) Larragueta, El gran Priorato de Navarra de la Orden de San Juan de Jerusalem, document 544.
(2) Jean Barbier, Saint-Sauveur d’Iraty, Gure Herria, 1921.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jean Curutchet: la chapelle

Salbatore gora da: kantua

Louis Colas: la chapelle